Un matin comme les autres. Un de plus. Arrivée au travail, un quart d’heure en avance. Prendre mon temps. Le rituel peut commencer. Se déshabiller, revêtir la blouse, immaculée. Puis se faire couler un café, pas trop fort, c’est le premier. Il est tôt, 5h45. Enfiler ma veste, ne pas oublier les cigarettes.
Une fois dehors, je respire à pleins poumons le souffle de l’aube. Assise sur le béton glacé, j’allume ma cigarette, bouffée de plaisir toxique, gorgée de café brulant, rassurant.
Le ciel entame sa métamorphose, reflète la mienne. Mes yeux se perdent dans le spectacle quotidien du nouveau jour.
Mes pensées dérivent, je quitte mon univers.
Je ne suis plus une jeune fille fragile. Je deviens la femme apaisante et souriante, celle qui tient la main, qui console. Je mets de côté ma vie pour mieux partager la leur. Je compatis, rassure, soigne et protège. Mon corps lui aussi change, mes mains se font plus douces, ma voix plus posée, mes gestes plus sûrs.
Je suis la professionnelle assurée, proche et distante. Je suis parée à partager leur intimité, à toucher leur corps meurtri. Je me sens enfin prête à surmonter leur regard, à affronter leurs souffrances, à écouter leurs angoisses.
Le soleil offre ses premières nuances, colorient ces instants de solitude et m’aide à construire mon armure, rempart essentiel.
Ma cigarette est éteinte, mon café fini, j’enlève ma veste, je ferme la porte, je souris.
